Un héritage familial
Didier est enfant du pays, et quel pays ! Il n’y a pas de mot pour le décrire, de pierres et de lauzes, de terre et de ciel, de roche et de glace, il est vraiment l’un des plus beaux villages de France. Père et grand-père étaient ici agriculteurs, il y a donc un peu d’atavisme dans le fait que Didier soit aussi dans le métier. « Oui, mais j’ai vraiment choisi d’élever des brebis quand d’autres ont opté pour les vaches, tarine et abondance. »
"Ici, c’est la Nature qui dicte aux hommes"
Bonneval sur Arc, le 10 juillet 2024. A l’Est, le Roc du Mulinet percute le ciel à 3 442 m, sur ses flancs le glacier éponyme, on le voit bien de Bonneval. La neige encore présente au-dessus du village, signe un hiver qui s’est invité jusqu’au milieu du printemps. Et en juillet, on ne sait toujours pas sur quel pied danser avec la météo ! Didier Anselmet s’adapte. Comme tous ses collègues agriculteurs dans ce merveilleux fond de vallée, il n’a pas le choix : « Ici c’est la Nature qui dicte aux hommes. »
Je le retrouve au volant de son tracteur, dans une pâture autour du village, occupé par le fourrage. On avait prévu de se voir autour d’une table, mais le ciel encore incertain l’a ramené presto au pré bien avant le rendez-vous. Alors, on a fait l’interview dans la cabine du Massey Ferguson ! Le fond et la forme y était. Depuis ce matin, il fait des balles de foin et les enrubanne dans un film protecteur. Il lui en faudra 50 à 60 tonnes pour que son troupeau de 180 brebis passe bien l’hiver prochain. « Le foin était pile à point pour être fauché », lâche-t-il avec satisfaction, et en plus il a pu faire le travail avant une pluie annoncée à la mi-journée. C’est l’effet kiss cool !
Un élevage d’ovins adapté aux alpages
Ses bêtes à lui sont des thônes et marthod, la race ovine emblématique de la Savoie, reconnaissable à sa toison blanche, son museau noir comme le tour de ses yeux, ses oreilles et l’extrémité de ses membres. Il les élève pour la viande : « J’ai toujours eu une “approche agricole brebis”. C’est ce que je voulais faire, et ça tombait bien parce que nous avons des pâturages plus appropriés aux ovins qu’aux bovins, en haute altitude jusqu’à 2 700 m. »
Son troupeau s’est renouvelé au printemps, les brebis ont mis bas et 190 agneaux grandissent dans les alpages de Bonneval, tout l’été, puis seront vendus en septembre.
L’hiver, les brebis prendront bien moins de temps aux éleveurs, quand elles seront à l’étable, dans la zone agricole du village. Il faudra « juste » les nourrir le matin et le soir et veiller à leur bien-être.
On a un beau village, il faut le faire durer !
Résilience et attachement : l’équilibre de la vie montagnarde
Il y a quelques années, Didier a épousé Melissa. Enfant elle venait passer ses vacances à Bonneval. Elle est tombée amoureuse, et pas que des montagnes. Ils ont deux jeunes enfants qui en rejoignent plus d’une trentaine d’autres à l’école du village, de septembre à juin. Tous deux sont biactifs : l’été accaparés par les tâches agricoles, l’hiver travaillant dans le tourisme, Didier en tant que moniteur de ski et Melissa à la vente dans un magasin d’articles de sport.
Didier est un homme heureux. « Le métier n’est pas toujours rose » (euphémisme) et il est même plein de contraintes, la présence du loup ajoutant encore des incertitudes, voire des angoisses ! « On vit avec la prédation, des filets de protection, un berger, des chiens, beaucoup de gestion administrative agricole (la paperasse) … » Mais il se sent en harmonie avec son environnement. Il a construit sa maison de ses mains, aidé par d’autres mains du village ; il sait pouvoir compter sur d’autres agriculteurs en cas de besoin, et sur son père, Louis, et son oncle, André, et c’est réciproque, car ici, on s’entraide.
« Je pourrais être à l’usine à St-Jean ou toujours en déplacement sur les routes, or j’ai le bonheur d’être là, de vivre ici. Nous avons la chance de travailler la terre et de reprendre ce que nos grands-parents ont construit et que nos parents ont tenu. Et nos différentes activités professionnelles sont complémentaires aujourd’hui, car le pays vit aussi et désormais du tourisme. »
Didier est actif dans sa corporation, il défend sa profession et les intérêts d’autres oviculteurs au sein du Syndicat Ovin de Savoie, il est aussi conseiller municipal dans sa commune. En quittant le pré où il a fait une quinzaine de balles de foin, il salut une personne sur son vélo, elle pédale avec une fourche posée en appui sur l’épaule. « Ici, tout le monde se croise tout le temps et l’on se connaît tous, et nos enfants entre eux. On a un beau village, il faut le faire durer ! ».
© Article initialement publié sur Terra Modana, le journal de territoire de la Haute Maurienne Vanoise