Une histoire de plus de deux siècles
A Noël, les Bessanais chantent ce couplet lors d’une grande crèche vivante qui met en scène la naissance de Jésus. Un couplet qui n’est qu’une petite partie d’un chant de Noël en patois écrit en Haute Maurienne il y a plus de deux siècles.
La tradition des chants de Noël remonte au XVIème siècle, à l’époque où les fameux “mystères” ont été interdits à Paris. Ces grandes pièces de théâtre qui se déroulaient souvent sur plusieurs jours représentaient notamment des scènes de la Bible. Ces mystères permettaient d’enseigner la religion catholique de façon simple et claire. Après leur interdiction, les chansons ont repris cette fonction. Certains chants étaient même mimés.
« Les chants de Noël en patois existent partout en Occitanie et en Rhône-Alpes. Mais Bessans tient une place particulière dans le monde de la chanson traditionnelle. Les chants locaux sont nombreux et nous avons la chance d’avoir des enregistrements effectués il y a près d’un demi-siècle par un couple de passage au village. Nous avons par exemple la trace d’un rare credo en polyphonie savoyarde » assure Péroline Barbet, chargée de recherches au Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes basé à Villeurbanne.
La richesse du patrimoine oral de Bessans est reconnue depuis longtemps. C’est ainsi qu’à la fin du XIXème siècle, un envoyé du Ministère de l’Instruction publique, Julien Tiersot, est venu en Savoie pour recueillir les chants sacrés et profanes. Son passage à Bessans l’a particulièrement marqué, même s’il a rencontré quelques difficultés avant d’avoir droit à un concert : « je me rappelle notamment une grande fille que l’on m’avait désigné comme ayant la plus belle voix du pays, et avec qui les négociations furent particulièrement difficiles : en vérité, elle commença par repousser ma requête avec autant d’indignations que si je lui eusse adressé des paroles déshonnêtes ! En outre, je jouais de malheur : voilà qu’au jour fixé, un chanteur qui m’avait donné sa parole fut arrêté par les gendarmes pour fait de contrebande. Aventure ordinaire mais qui ; chaque fois qu’elle se produit, n’en tient pas moins la population sous le coup d’une inquiétude momentanée. »
Trésors de l’art populaire
De plus, l’envoyé du Ministère, a pu consulter « quatre cahiers, dont l’un, un recueil de manuscrits de Noël portant des dates échelonnées de 1820 à 1855. (…) Un second cahier, plus moderne, ne referme pas moins de cent deux textes de chansons. »
Ces cahiers sont de véritables trésors de l’art populaire. Des manuscrits qui se sont transmis de génération en génération jusque dans les années 70. Les pages sont rehaussées de belles illustrations en couleurs représentant la nativité, des crèches, le baptême de Jésus… Fleurs, feuillage ou vases rehaussent la calligraphie. Des enluminures villageoises que certains trouvent naïves mais qui montrent le soin apporté aux livrets et qui soulignent l’habileté artistique des Bessanais.
Une cinquantaine de chants différents
Quand les chants ont cessé d’être entonné, l’air s’est peu à peu perdu. Une partie de ces chants ont pu être apportés par des prêtres venant de France ou par des colporteurs. Mais certains ont été composés sur place comme le prouvent les nombreuses références à la géographie et aux traditions locales. Ainsi, dans ces chants locaux en patois, l’enfant Jésus est honoré par les villageois qui lui apportent des présents typiquement mauriennais : fromages, beurre, agneau, gibiers… D’ailleurs selon ces chants, l’enfant ne serait pas né à Bethléem comme le raconte l’histoire officielle mais dans “la grange du Carrelay” (le Carrelet), à l’Esseillon (entre Aussois et Avrieux) ou à Belley…
Dans son ouvrage “Bessans chante Noël, chants sacrés, chansons profanes”, Jeanne Ratel recense pas moins de 51 chants différents, 44 en français et 6 en “langage de Bessans”. Si les textes sont si nombreux, c’est qu’ils ne sont pas tous destinés à être chantés les 24 et 25 décembre. En effet, ces chants couvrent toute la période de Noël.
Il existe les chants pour les différentes messes de Noël (messe de minuit, messe de l’aube et messe du jour), puis pour toutes les fêtes religieuses qui suivent la naissance de Jésus : chants en l’honneur de Saint Etienne, de Saint Jean l’évangéliste, pour la circoncision du Christ (le huitième jour après la naissance, comme l’exige la religion juive), pour les Rois mages…
Une richesse orale, qui se perpétue année après année quand les Bessanais se regroupent à Noël pour chanter “Dzens qu’èthes din vothres misons, attapis quème de marmottes, ne tsauchez pas vothros sapons, prenez selamint vothres socques. Sortez, defau est tzauza ethrandze, o zi varrea los andzes, que baillont a tuit lo bonzom.”